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Aéronautique / Evénements

COP21 : l’espace, la décharge de la Terre ? 2/2

En pleine COP21, la question du développement durable s’est également invitée à l’IPSA à l’occasion de la grande conférence « Débris spatiaux, comment s’en protéger ? » organisée le 1er décembre 2015 en partenariat avec le magazine Ciel & Espace.

Pour la suite de la conférence (lire la première partie consacrée à l’état des lieux sur les débris spatiaux), l’IPSA et Ciel & Espace ont réuni différents experts pour une table-ronde destinée à aborder les différentes solutions envisagées par les acteurs du secteur. Étaient ainsi présents Nicolas Bérend, ingénieur chef de projet et thématicien « lanceurs » au centre Onera de Palaiseau, Christophe Bonnal, expert à la direction des lanceurs du CNES et président de la commission Débris spatiaux de l’Académie internationale d’astronautique (IAA), Florent Deleflie, directeur adjoint de l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides (IMCCE), Bernard Gergonne d’Airbus Defence and Space et Delphine Thomasson (IPSA promo 2014), doctorante à l’Observatoire de Paris.

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De gauche à droite : Christophe Bonnal, Florent Deleflie, Nicolas Bérend, David Fossé, Bernard Gergonne et Delphine Thomasson

Les textes sont prêts, pas leur application
Tout objet lancé dans l’espace doit normalement, une fois qu’il n’est plus fonctionnel et a donc rempli sa mission, redescendre sur Terre. C’est en tout cas ce que demande la législation existante, comme le rappelle Christophe Bonnal. « À long terme, tout doit être désorbité. À court terme, l’objet a l’interdiction de se défragmenter en orbite et donc d’envoyer volontairement des débris. En orbite basse comme en orbite géostationnaire, les objets ont l’interdiction de rester plus de 25 ans suite à la fin de leur mission. Enfin, il convient de rendre passif les objets en rejetant les carburants pouvant chauffer en fonction de différents facteurs (l’énergie solaire, entre autres) et provoquer des explosions engendrant davantage de débris. Ces différents points ont été décidés en 2002 par l’Inter-Agency Space Debris Coordination Committee (IADC), puis votés par l’assemblée générale de l’ONU en 2007. Un travail important a également été réalisé sur les normes ISO qui standardisent la conception des objets lancés, comme avec le standard 24 113 reprenant les recommandations précédentes et les détaillant beaucoup plus. Nous nous battons pour inciter les fabricants à appliquer ce standard au niveau mondial pour toutes les opérations spatiales ! L’ESA l’applique déjà et certains pays ont également déjà des lois portant sur ces opérations. Des textes, il y en a : il suffit de les appliquer ! » Pour Delphine Thomasson, sensibilisée à la question des débris lors de sa 5e année à l’IPSA avant de vouloir poursuivre dans ce domaine, il est désormais plus que temps d’agir : « Il faut qu’on ait un environnement propre pour éviter de perdre un satellite, une sonde. Il faut que tout soit nettoyé. La prise de conscience doit se faire et il faut saisir les opportunités. »

1001 façons de bouger les objets ?
Si certains objets en orbite basse s’usent de manière naturelle et sont logiquement susceptibles de revenir plus facilement (et de se désintégrer en pénétrant dans l’atmosphère), une bonne partie de ceux présents dans des orbites extrêmement stables dans le temps doivent être ramenés d’une manière ou d’une autre. Pour « nettoyer ces orbites », les scientifiques et professionnels ne cessent de chercher les meilleures solutions possibles. « Beaucoup de pistes techniques et de projets sont en cours actuellement, affirme Nicolas Bérend. Il y en a tellement qu’il est même difficile de les passer en revue. L’une des grandes approches est l’active debris removal (ADR) qui consiste à avoir un véhicule de transfert orbital pour venir à la rencontre d’un débris, l’accrocher et l’amener sur une orbite moins énergétique afin qu’il puisse redescendre sur terre après 25 ans – le véhicule se concentrant ensuite sur un autre débris. » Une approche prometteuse sur le papier mais qui s’avère compliquée à mettre en place d’un point de vue énergétique, de part la consommation de carburant induite, même si, bien souvent, faire retomber directement sur Terre le satellite nécessite encore plus de carburant. « Tout reste à bâtir : on a plus que besoin d’imagination », ajoute d’ailleurs Christophe Bonnal.

Une autre solution consisterait équiper les objets de nouveaux « outils », comme un kit de désorbitation aux débris, sorte de propulseur solide donnant un boost permettant de le désorbiter, ou une espèce d’airbag générant une traînée et accélérant la retombée du débris. Dans tous les cas, un autre problème pourrait se poser : celui des collisions possibles avec les autres débris. En effet, l’ADR devra être en mesure d’éviter les débris pour l’objet porté et pour lui-même quand, d’un autre côté, les débris équipés augmenteront le risque d’être touchés à cause de l’augmentation de leur amplitude. Ce souci pose une autre question : celui de la protection des satellites contre les impacts afin d’éviter de contribuer encore davantage à la pollution spatiale.

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Éviter ou encaisser

Pour survivre, les objets n’ont pas droit à une foultitude de choix. « Face à des débris de grandes dimensions, de plus de 10 cm, l’évidence repose sur les manœuvres d’évitement, note Florent Deleflie. Pour les débris de moins de 1 mm, comme cela n’implique pas de dégât « mortels », l’impact peut survenir. La question se pose pour les débris de taille intermédiaire. Une étude a récemment démontré que le plus grand risque tournait autour des débris de 3 mm. C’est avec ces débris-là que la probabilité de fin de mission du satellite est la plus forte. » Face à ces débris spécifiques, certains scientifiques préconisent de protéger le satellite en imaginant des blindages. « Les structures sandwich avec nid d’abeilles sont déjà des protections relativement efficaces contre les petits débris, affirme Bernard Gergonne. La première paroi fragmente le débris et la deuxième le stoppe. Pour autant, cela ne suffit pas. On peut alors penser utiliser des matériaux classiques ou innovants, avec différentes couches pour blinder certaines parties et les tester de manière empirique pour voir les impacts. »

Le problème de ces tests faits à partir de canon envoyant des particules à grande vitesse, c’est qu’ils ne vont pas au-delà de 7 à 8 km par secondes et ne peuvent donc que théoriser les vitesses d’impacts supérieures pourtant possibles. Reste que la recherche n’est pas non plus très poussée sur cette question du côté des industriels. « Cette problématique est rarement prise en compte, le risque de collision restant quand même assez faible, souligne Bernard Gergonne. Les clients ne sont donc pas suffisamment motivés pour réduire cette probabilité des collisions même si, récemment, Airbus Defence & Space a été consulté pour la protection d’équipements vitaux pour deux satellites à l’export. » La preuve que, si la poubelle de l’espace est encore bien remplie, l’idée de la réduire, voire de la vider, suit bel et bien son chemin.