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« Je suis sûre que pas mal de filles rêveraient de se lancer dans des études d’ingénieur »

Respectivement étudiante en 2e année et présidente de l’association IPSA Flight, étudiante en 4e année et directrice des études : Alix Ricour (IPSA promo 2021), Louise Decoster (promo 2019) et Stéphanie Laurence font avancer l’IPSA au quotidien, chacune à son échelle. À l’occasion de la Journée internationale des femmes (aussi appelée Journée internationale des droits des femmes), l’école a choisi de leur donner la parole pour une discussion à bâtons rompus afin d’aborder de nombreux sujets, parfois au cœur de l’actualité, de la passion pour l’aéronautique à la naissance d’une vocation scientifique, en passant par la parité, l’évolution des mentalités et la notion de respect.


De gauche à droite : Alix Ricour, Louise Decoster et Stéphanie Laurence


En tant que présidente d’IPSA Flight, l’une des principales associations étudiantes techniques de l’IPSA, Alix Ricour est en charge d’un projet passionnant : la construction d’un simulateur de Boeing 777 à taille réelle.

Étudiante en Systèmes Embarqués, Louise Decoster a intégré l’IPSA en 3e année suite à une classe préparatoire. Elle ambitionne aujourd’hui de concourir au prix CDEFI Ingénieuse 2018 en marge de ses études.

Présente à l’IPSA depuis 2002, Stéphanie Laurence a d’abord officié en tant que professeure d’anglais avant de devenir chef de département sur le campus de Paris. Depuis quatre ans, elle occupe le poste de directrice des études pour les Aero 1 et 2, ainsi que les cursus IPSA’Prim et Bachelor.


En France, ce n’est pas un secret : il y a encore très peu de femmes présentes dans les écoles d’ingénieurs. Ressentez-vous cette différence ?
Louise Decoster :
On la voit en tout cas. Déjà, au niveau des enseignants, il y a plus d’ingénieurs que d’ingénieures. On s’en rend aussi compte à travers le nombre de filles par classe… La communication est encore perfectible : il faut continuer à expliquer aux jeunes filles que le domaine de l’ingénierie leur est également ouvert, qu’elles peuvent s’y épanouir.
Alix Ricour : Je partage l’avis de Louise. Au sein de mon association, IPSA Flight, nous sommes à peu près 35 membres dont seulement 4 filles. On se rapproche de la proportion hommes-femmes en classe. Je crois que cette différence s’explique aussi par de solides stéréotypes qui perdurent malgré le temps. On pense que l’ingénierie est très compliquée, en particulier dans l’aéronautique et le spatial, que le domaine est uniquement réservé aux garçons, etc. Pourtant, je suis sûre que pas mal de filles rêveraient de se lancer dans des études d’ingénieurs, comme nous le faisons Louise et moi. C’est dommage de se dire que certaines d’entre elles ne se donneront pas les moyens d’aller au bout de leur rêve.
Stéphanie Laurence : Je ne peux que rejoindre ce qui a été dit. Après, d’un point de vue école-administratif-encadrement, nous disposons tout de même d’un bon équilibre à l’IPSA, notamment aux postes de direction. Depuis quelques années, les choses changent : sur les trois postes de directeurs des études, deux sont occupés par des femmes. Certes, le directeur général de l’école, Francis Pollet, est un homme, mais l’avancée est réelle. Cela dit, il est vrai que tous les postes d’assistants au sein de l’administration sont occupés par des femmes. Les lignes bougent petit à petit, notamment sur les postes à responsabilité. À titre personnel, je ressens de la confiance et aucune forme de discrimination ni de mise à l’écart, que ce soit pour mon profil non technique ou le fait que je sois une femme.

Si certaines filles n’osent pas se lancer dans des études d’ingénieries, Alix et Louise, vous avez fait le choix de rejoindre l’IPSA. Quel a été le déclic pour franchir le pas et aller « à contre-courant » ?
AR :
L’air et l’espace m’attirent depuis que je suis toute petite, depuis l’âge de 4 ans. J’ai d’abord été passionnée par l’astronomie, avec le système solaire, puis je me suis intéressée à l’aspect militaire, avec l’Armée de l’air et l’histoire de l’aviation. J’ai aussi des grandes figures féminines de l’aviation qui m’ont inspirée, comme Caroline Aigle ou Virginie Guyot. Tout cela m’a logiquement poussé à faire une école d’ingénieurs spécialisée dans l’aéronautique et le spatial.
LD : Pour moi aussi, c’est d’abord une histoire de passion, d’abord pour l’aéronautique, puis pour les matières scientifiques. Cela m’a conduit à rejoindre une Maths sup/Math spé après le bac, prépa où nous n’étions que deux filles sur une trentaine d’élèves, puis l’IPSA et le monde de l’ingénierie ensuite. Pour autant, le chemin n’a pas été si facile que ça : il a toujours fallu faire ses preuves face à certains garçons. Quelque-part, avec ce genre de personnes, être une femme ne donne pas le droit à l’erreur : on doit toujours faire en sorte de gagner leur confiance. J’ai aussi vécu ça en tant que réserviste au sein de l’Armée de l’air, face à certains hommes, y compris des supérieurs hiérarchiques.



À propos de figures féminines inspirantes, quand il s’agit d’aborder la question de la féminisation des secteurs scientifiques, certaines voix préconisent justement la mise en avant de role models auprès des plus jeunes. Que pensez-vous de cette démarche ?
AR : Dans mon cas, cela m’a évidemment servi. Par exemple, j’ai lu beaucoup de livres sur la vie de Caroline Aigle. Cette grande femme m’a énormément marquée, tant par son parcours scolaire que sportif. Apprendre comment elle est devenue la première femme pilote de chasse en France, ce n’est pas rien, surtout pour quelqu’un comme moi qui rêve d’intégrer l’Armée de l’air plus tard. Son exemple me donne toujours envie de me battre, de me projeter plus loin, y compris dans mes études. Même si je ne fais pas Polytechnique comme elle, j’ai rejoint une école d’un très bon niveau comme l’IPSA qui propose de très bons débouchés : je sais qu’avec un titre d’ingénieur, je peux encore espérer intégrer l’Armée et marcher ensuite sur ses pas. Au fond, le cas de Caroline Aigle m’a permis d’y croire, de m’accrocher et de supporter certaines clichés – du genre « tu devrais plutôt faire coiffeuse ou kiné… ».
LD : La personne qui m’a poussée à aller plus loin, ce n’est pas une femme, mais un homme : il s’agit de l’instructeur que j’avais quand j’apprenais à piloter. Il m’a dit de ne pas me démonter face aux critiques, de toujours continuer à y croire pour arriver à réaliser mes rêves. Je lui dois beaucoup.
SL : Je me retrouve dans l’exemple de Louise, ayant moi-même été portée par des hommes à mon arrivée à l’IPSA, quand l’école était encore très « masculine ». Ces derniers m’ont donné de la confiance, ont mis en valeur mon travail, m’ont accompagné et beaucoup appris : ils ont vraiment cru en moi. Du coup, je suis plutôt du genre à penser que le sexe des modèles n’a pas d’importance : il s’agit avant tout des rencontres que l’on fait. Certaines nous permettent d’apprendre beaucoup de chose sur nous-mêmes, d’avancer et de s’épanouir.



Revenons-en à ce « besoin de prouver » dont tu parlais Louise. Peut-on se servir de cette défiance comme d’une force, pour mieux faire taire les crédules et oser encore davantage ?
LD :
C’est un dépassement de soi, oui. Toutefois, cette défiance est aussi contrée par d’autres personnes qui croient en vous et vous apportent un soutien très précieux dans les périodes de doutes. Mais oui, réussir malgré ce que certains peuvent penser, c’est une grande satisfaction personnelle.
AR : Le terme de dépassement est très juste car il n’est jamais évident de faire ses preuves. Je le vois bien au sein de l’association : certains membres masculins vont par exemple vouloir prendre à leur compte les réalisations liées à la découpe du bois pour le simulateur – « Laisse-moi faire, je ne veux pas que tu te blesses ». Certes, cela ne part pas toujours d’un mauvais sentiment, mais la réalité, c’est qu’une femme est aussi capable de réaliser ce genre de tâches. Cette égalité n’est pas toujours encore bien intégrée, malheureusement.
SL : Quand Alix parle d’égalité, je trouve qu’il convient mieux de pas l’orienter vers un axe hommes-femmes. Pour moi, cette égalité n’a pas lieu d’être dans le sens où, pour le cas de la découpe de bois, certains hommes peuvent aussi ne pas y arriver comme certaines femmes. Bien sûr, les débats sur l’égalité peuvent être importants, comme dans le cas de la différence de salaire ou en ce qui concerne des discriminations vécues par les femmes, mais je pense qu’il faut avant tout commencer à accepter les différences de l’autre au sens large, qu’elles soient physiques, sexuelles, etc.
Pour revenir à ce « besoin de prouver » permanent, il peut parfois avoir des conséquences dramatiques. Quand on martèle à une jeune femme que personne ne croit en ses capacités, que les sciences ne seront jamais faites pour elle, qu’elle n’y arrivera pas dans un monde d’homme, c’est très violent. Chez certaines, ces discours vont s’ancrer pendant longtemps dans leur cerveau et ainsi expliquer inconsciemment tel ou tel échec une fois en école… Surtout, il faut absolument rappeler une évidence : ces discours ne sont pas normaux ! Pourtant, à force d’habitude, les étudiantes en minorité dans les filières scientifiques peuvent en venir à légitimer d’une certaine façon la prolifération de blagues sexistes et graveleuses – « C’est normal : ce sont des garçons. Et ce n’est pas méchant au fond » – alors que c’est finalement sur ce point-là que le travail est à faire. Non, ces remarques sexistes n’ont pas lieu d’être, même si l’on sait bien que la plupart des garçons ne pensent pas à mal ni à blesser quand ils les font. Il faut arriver à changer cette mentalité.


Alix Ricour avec les membres de la Patrouille de France, lors du Salon du Bourget 2017


À votre échelle, avez-vous des idées pour changer la situation ?
LD :
Il faut sensibiliser, encore et toujours. Il n’y a pas de raison que l’on ait plus de filles dans les filières littéraires que scientifiques. Il faut continuer à promouvoir dès le collège et le lycée les métiers de l’ingénieur. Moi par exemple, je n’ai pas eu la chance d’en entendre vraiment parler à l’école : il a fallu que je fasse des recherches de mon côté pour mieux appréhender ce domaine. Accentuer ce côté-là, ce serait déjà un bon premier pas, en sachant que des associations sont déjà actives sur ce sujet et sur la mixité, comme Elles Bougent par exemple (une association partenaire de l’IPSA).
SL : Il faut travailler sur l’éducation, en tant que femmes, mères ou futures mères. Il faut éduquer nos enfants, filles comme garçons, et leur apprendre le respect des autres, qu’ils soient blonds, à lunettes, pas très à l’aise dans leur peau, originaires de la campagne ou d’une sexualité différente. L’exclusion peut prendre bien des formes et nous ne sommes pas tous suffisamment armés à l’intérieur pour faire face aux moqueries et, n’ayons pas peur des mots, au harcèlement. D’ailleurs, je suis référente harcèlement pour les étudiants : l’IPSA a bien compris l’intérêt de devoir lutter contre ces nuisances, surtout quand elles sont exacerbées par l’effet de groupe, cette envie d’appartenir à la communauté qui pousse chacun à verser dans la surenchère sans s’en rendre bien compte par moment. On apprend aux élèves le respect du matériel, mais aussi le respect de l’autre et de soi-même. Il faut s’insurger contre ces dysfonctionnements.